F. Rosset (dir.): Benjamin Constant. OEuvres complètes

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Title
OEuvres complètes. Tome XII. Discours à la Chambre des députés (1819–1820)


Author(s)
Constant, Benjamin
Editor(s)
Rosset, François
Published
Berlin 2023: de Gruyter
Extent
821 S.
by
Olivier Meuwly

Présidée par François Rosset, également directeur du présent volume, l’équipe à la tête de la publication des OEuvres complètes de Benjamin Constant poursuit son inlassable labeur. Année après année est révélé au public un nouveau pan, dûment commenté et doté d’un appareil critique des plus sophistiqués, de l’oeuvre aussi monumentale que magistrale de l’illustre philosophe libéral vaudois. En 2030, quand ce chantier magnifique sera achevé à l’occasion du bicentenaire de la mort du natif de Lausanne, c’est l’ensemble de ses écrits, de sa correspondance, de ses ouvrages les plus emblématiques et de ses discours qui sera accessible aux chercheurs.

C’est justement aux discours que Constant a prononcés à la Chambre entre 1819 et 1820 que ce volume, dont les textes ont été établis par Étienne Hofmann et annotés avec l’appui de Frédéric Jaunin, François Rosset et Dominique Triaire, est consacré. La production purement politique de Constant, c’est-à-dire celle vouée à l’action immédiate et qui se joue dans ces débats législatifs dont les parlements sont riches, est mal connue. Elle est pourtant essentielle pour bien comprendre, d’une part, comment le penseur libéral entendait prolonger ses constructions théoriques dans la réalité du combat politique du moment et, d’autre part, comment il a tenté de manoeuvrer pour faire passer un avis qu’il savait minoritaire. Toutefois, Constant avait également conscience que seul le martèlement de ses arguments face à ses adversaires pourrait, à terme, servir la cause qui lui était chère.

Découvrir Constant à travers ses discours, c’est donc aller à la rencontre d’un Constant non plus simplement assis à sa table de travail, mais du Constant orateur, art qu’il maîtrisait à la perfection. Le Constant qui cherche à convaincre se dévoile ainsi, lucide sur le fait qu’il n’y parviendra certes pas, mais que la logique implacable de ses traits rhétoriques poussera les bretteurs du camp opposé dans leurs derniers retranchements. Or, la période est propice pour une telle opération. En mars 1819, lorsque Constant pénètre enfin dans la Chambre des députés après deux tentatives avortées en 1817 et 1818, c’est, comme le rappelle Étienne Hofmann, une époque bénie pour le libéralisme français: le gouvernement de Louis XVIII, hétérogène, se caractérise par une instabilité rendant possible une offensive libérale. La situation se gâtera cependant rapidement pour les libéraux avec l’assassinat du duc de Berry en février 1820.

Le Constant qui peut enfin confronter ses idées à celles de la droite ultra dans un échange direct s’impose dès ses premiers discours comme un ténor de la Chambre. Tous les regards seront bientôt braqués sur ce personnage un brin dégingandé mais dont le magnétisme fait fureur. Dès ses premiers pas dans l’univers parlementaire, il s’investit dans les causes qui lui tiennent à coeur, la liberté de la presse en premier lieu. Mais il ferraille aussi contre la gestion de l’État, à travers le débat sur des emprunts consentis les années précédentes ou en plaidant en faveur des bannis, souvent régicides. Avec l’ensemble de la gauche parlementaire, il demande leur rappel et une amnistie en leur faveur. Des régicides, il en sera encore question lors de la session de 1819–1820, lorsqu’il s’agit de valider l’élection de l’abbé Grégoire réclamée par les libéraux.

Intraitable, la Chambre refuse d’adouber le religieux rallié à la Révolution. Enhardi dans son combat antirévolutionnaire par la mort de l’héritier du trône, le camp gouvernemental et l’opposition libérale, pour sa part de plus en plus divisée au grand malheur de Constant, sont désormais à couteaux tirés. Constant tente avec difficulté de tenir ensemble les deux ailes du libéralisme, miné par un mal qui le rongera encore souvent: le clivage entre les modérés et les radicaux qui, en l’occurrence, ne veulent transiger sous aucun prétexte dans le cadre de l’affaire Grégoire. Les premiers signes d’une désunion à l’intérieur de la famille libérale sont alors tangibles et cette fracture se révélera encore plus patente après 1830, en France et, dans un autre contexte bien sûr, en Suisse.

En dépit d’une atmosphère de moins en moins favorable aux idées libérales, Benjamin Constant monte au créneau à chaque occasion, surtout lorsque le gouvernement, qui entend reprendre la situation en main, multiplie les lois liberticides: à savoir une loi d’exception sur la presse et une loi électorale toutes deux marquées par un esprit très réactionnaire et, surtout, une loi sur les libertés qui écorne gravement les garanties en cas d’arrestation. Constant, n’y tenant plus, prend la parole le 7 mars 1820 et dégaine un discours qui fera date: «Est-ce sérieusement, Messieurs, que vous pourriez adopter ce système renouvelé du Bas-Empire, ou, si l’on veut, de Bonaparte? car les agens [sic] de Bonaparte n’ont fait autre chose qu’user, sans loi expresse, ou plutôt d’après des lois expresses émanées de la Convention, précisément du pouvoir que veut créer la loi actuelle. Dans ce temps j’ai quitté la France, parce que MM. les préfets de police et Bonaparte pouvaient me faire arrêter sur des ouvertures confidentielles, d’après leur conviction incommunicable. Je ne m’attendais pas à me retrouver à la merci de ces ouvertures confidentielles et à cette incommunicable conviction sous un gouvernement constitutionnel».

C’est un Constant au sommet de son art, qu’il déploiera jusqu’à sa mort en 1830, qui parcourt le somptueux recueil de ses discours que nous offre les éditeurs de ce nouveau volume des OEuvres complètes du libéral vaudois. Au fil d’une actualité brûlante, portée par le retour de la contre-révolution incarnée par le duc de Richelieu puis par Guizot, Constant se démène, commente de sa plume sarcastique les contradictions de ses opposants, fustige leur inadéquation à ce qu’il considère comme le véritable esprit du temps, porté à la liberté et non au souvenir macabre d’une époque révolue dans laquelle le gouvernement est accusé de se prélasser par facilité et par lâcheté. Le lecteur ne peut que se réjouir de la suite de la publication des OEuvres de Constant, qui comptera 50 volumes en tout. Que les responsables de leur édition soient remerciés de leurs efforts.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Rosset, François (dir.): Benjamin Constant. OEuvres complètes. Tome XII. Discours à la Chambre des députés (1819–1820), Berlin 2023. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 395-397. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134>.

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